Cinq femmes et demie.

Description

À cinq ans, j’avais compris que la vraie vie est celle qu’on voit depuis les pièces de derrière. Dans la rue, je distinguais des indi­vidus toujours habillés, plus ou moins reconnaissables à leur métier, et soucieux de ne commettre aucun péché tant qu’ils se trouveraient en public. C’est aussi ce qu’on pouvait entrevoir depuis les balcons de la façade, autrement dit depuis les pièces de devant : un panorama de modestes vitrines, de gens toujours occupés à quelque activité convenable et d’arbres déjà là à ma naissance et, certainement, à celle de mes parents.
Moi, je n’ai jamais vécu sur le devant de l’immeuble, dans les pièces qui donnent sur la rue, mais dans celles de derrière où se déploie la réalité de la vie. Notre cour commune est exiguë, elle est pauvre en soleil et abrite quelques hirondelles qui nichent toujours dans la même galerie. Les galeries sont bien plus impudiques que la rue, on y voit passer les voisins en pyjama ou les femmes en chemise de nuit, les gens se gratter, attraper du regard un morceau de ciel, s’adresser des gestes de complicité et parfois s’embrasser et se caresser derrière les vitres, comme si nul ne pouvait les voir. Les filles se changent parfois au crépuscule avec la lumière allumée, les matrones y pendent leur lingerie intime, et nous collectionnons tous les petits secrets des autres, de sorte que j’ai toujours pensé que la vérité se tient dans les pièces de derrière et non dans celles qui donnent sur la rue.