Description
Je suis mort à l’âge de dix ans, une belle après-midi d’automne, dans une lumière qui donne envie de l’éternité. Beauté de septembre, nuages de rêves, luminosités de matins du monde, douceur de l’air, parfums de feuilles et de soleil jaune pâle. Septembre 1969/novembre 2005. J’aborde enfin sur le papier ce moment de mon existence après le prétexte d’une trentaine de livres pour n’avoir pas à écrire ces pages qui suivent. Texte remis à plus tard, trop de peine à revenir sur ces quatre années d’orphelinat chez des prêtres salésiens entre ma dixième et ma quatorzième année – avant trois années supplémentaires de pension ailleurs. Sept au total. A dix-sept ans, je pris le large, mort vivant, et partis pour l’aventure qui me conduit, ce jour, devant ma feuille de papier où je vais livrer une partie des clés de mon être…
Avant dix ans, ma vie se joue dans la nature de mon village natal à Chambois : l’eau fade de la rivière où je pêche des vairons, les taillis où je ramasse des mûres, les sureaux dans lesquels je prélève de quoi confectionner l’ancien chalumeau des pâtres grecs, les chemins en sous-bois, les forêts bruissantes, l’odeur des labours, les ciels de peintres, les vibrations du vent sur la cime des blés, le parfum des moissons, le vol des abeilles, la course des chats harets. Je vécus heureux dans ces temps virgiliens. Avant de lire les Géorgiques je les ai vécues, ma chair en contact direct avec la matière du monde.
Ma douleur, à l’époque, c’est ma mère. Je ne fus pas un enfant insupportable, mais elle ne me supportait pas. Elle avait ses raisons que je compris bien plus tard, quand on devient adulte parce qu’on cesse d’en vouloir aux aveugles nous ayant conduit au bord de la falaise et qu’on prend en pitié après un travail de la raison. Probablement ma mère a trop rêvé sa vie en évitant de vivre réellement la sienne, comme nombre de femmes à qui on enseigne la pulsion bovaryque telle une seconde nature. Frappée, détestée, abandonnée par une mère aux contours pas bien nets, placée dans des familles payées par l’assistance publique où elle fut exploitée, battue, humiliée, elle dut croire au mariage comme occasion d’en finir avec ce cauchemar.
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